En fin d’après-midi, lorsque le soleil descend sur l’horizon et que le ciel commence à s’enorgueillir d’un bleu royal profond, annonçant une nuit scintillée d’étoiles, la fébrilité me gagne et mon rythme cardiaque s’accélère. On me parle et mes oreilles entendent, mais ma tête est ailleurs. J’imagine déjà les conquêtes célestes que je ferai avec mon télescope et mes jumelles lorsque les dernières lueurs du crépuscule auront cédé la place aux milliers de soleils lointains et à la Voie Lactée qui viendront saupoudrer la voûte céleste. J’essaie de me calmer en consultant mon logiciel de planétarium qui m’aidera à sélectionner les magnifiques nébuleuses et galaxies que j’admirerai dans quelques heures. Mais le soleil n’en finit plus de descendre sous l’horizon et me fait languir. Ce n’est pas pour rien que nous nous sommes installés à Ste-Sophie, dans les basses-Laurentides. Le ciel est passablement plus noir qu’à Montréal et Laval. Et la cour est assez grande pour que j’aie un horizon dégagé. Mais ça ne fait pas descendre le soleil plus vite…
Enfin, la noirceur s’est maintenant complètement installée. Finie l’attente interminable. Le vent est tombé, et on entend presque les étoiles scintiller même si quelques chiens aboient au loin. Je commence par laisser errer mon regard. Je dessine mentalement les constellations en identifiant les étoiles les plus brillantes qui sont, avec le temps devenues des amies familières, Elles étaient là hier, elles y seront demain. On peut compter sur elles, leur durée de vie se compte en centaines de millions d’années. Vega, toujours la première à apparaitre, Deneb, Altair, le triangle d’été qui nous sert de point de départ. Nous, pauvres humains sommes bien éphémères dans l’infini de l’univers. Elles s’allument toute les unes après les autres, comme dans un ballet tout orchestré.
Il ne fait plus vraiment noir. Après une trentaine de minutes, mes yeux sont maintenant adaptés à la noirceur et je peux distinguer mon télescope et ses accessoires qui attendent patiemment d’être mis à contribution. Au besoin, j’utiliserai ma lampe de poche à lumière rouge qui n’affecte pas l’adaptation nocturne de mes yeux. Mais, pour l’instant, je scrute le ciel et j’évalue sa qualité, sa transparence et sa turbulence. J’aperçois à l’œil nu la grande galaxie d’Andromède, l’objet le plus lointain qu’on puisse distinguer à l’œil nu à 2.5 millions d’années-lumière. Et pourtant, elle est dans notre cour arrière, notre voisine. Mon télescope me permettra tout à l’heure d’en repérer qui sont à plusieurs centaines de millions d’années-lumière. Je regarde vers le nord et je peux distinguer toutes les étoiles de la Petite Ourse, à l’extrémité de laquelle se trouve l’Étoile Polaire. C’est bon signe. Le ciel est d’une excellente transparence.
Je démarre le système électronique qui me servira à pointer mon télescope, tout va bien et le moteur d’entrainement qui suit le mouvement des étoiles, en fait qui contrecarre la rotation de la Terre, me réconforte de son feulement rassurant et familier. Le seul son qui trouble occasionnellement le silence nocturne. Je suis maintenant dans ma bulle. Je me pointe sur Albiréo, une belle étoile double dont le soleil principal est doré et son étoile satellite d’un beau bleu poudre. Quel beau contraste. Mon cerveau se permet une petite escapade. Je m’imagine sur une planète faisant partie de ce système solaire avec un soleil doré d’un côté et un soleil bleu de l’autre. Comme ce doit être bizarre! Et pourtant, ce système d’étoiles multiples n’est pas unique. Il y en a des millions d’autres, Des systèmes d’étoiles triples, quadruples même. Et dire que la plupart des étoiles sont au centre d’un système solaire comme le nôtre, avec une ou plusieurs planètes qui orbitent autour. Impossible qu’il n’y ait pas une forme de vie quelconque en quelque part dans ce fourmillement d’astres.
Je dirige mon télescope sur Messier 57, l’Anneau de la Lyre. Un petit anneau de fumée grisâtre à l’œil, mais rouge et bleu lorsqu’on le prend en photo. Il s’agit d’une étoile qui a brulé tout son hydrogène et a éjecté ses gaz extérieurs en émettant des pulsations énergétiques pour former cet anneau il y a environ 7000 ans. Fascinant de voir flotter ce petit anneau. On se croirait dans un film mais c’est réel. Il est là devant moi, dans l’oculaire de mon télescope.
Toutes les étoiles que l’on peut voir, que ce soit à l’œil nu ou au télescope, font partie de notre propre galaxie, la Voie Lactée. Mais il existe des milliards d’autres galaxies à travers l’univers, chacune contenant des milliards d’étoiles. De quoi nous donner le vertige. Tout en observant une galaxie au télescope, je me surprends parfois à penser qu’il y a peut-être quelqu’un, ou quelque chose, dans cette galaxie qui est aussi en train de pointer un instrument quelconque en notre direction et qui se demande si quelqu’un vit dans notre belle galaxie. Peut-être. A l’échelle cosmique, les humains viennent tout juste d’apparaître sur Terre. Et les photons (la lumière) prennent des millions d’années à voyager à travers le vide intersidéral d’une galaxie à l’autre. Serons-nous encore là dans un millions d’années? Il est souvent permis d’en douter. Mais pour l’instant, je suis bien installé dans mes vêtements chauds, dans le silence de la nuit, en train de communier avec l’univers. Et c’est tout ce qui compte pour moi.